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Le ministre des Finances a envisagé de rémunérer les délateurs, en matière fiscale. Cette idée inspirée du modèle anglo-saxon n’est pas à suivre. Par Bertrand Lacombe, Avocat à la Cour, Lacombe Avocats

Avant de déclarer y renoncer par « souci éthique », Michel Sapin avait reconnu il y a quelques jours « étudier » la possibilité d’intéresser les délateurs aux redressements fiscaux que leur dénonciation permettrait d’opérer. Deux desseins seraient poursuivis : encourager la délation au nom de l’efficacité budgétaire et encadrer une pratique « officiellement » abandonnée au nom de la transparence.

D’un point de vue sémantique, il convient de distinguer le lanceur d’alerte, dont l’action courageuse et désintéressée est motivée par l’intérêt général, de la personne mue par la vengeance, la jalousie ou la cupidité. Le dénonciateur, dès lors qu’il est rémunéré, devient un délateur : le Petit Larousse nous indique qu’il « dénonce pour des intérêts méprisables ». On comprend pourquoi Bercy préfère parler d « aviseurs fiscaux » !

Le fruit d’une culture et d’une histoire

Le malaise des français avec la délation est le fruit d’une culture et d’une histoire. Notre culture latine s’accommode mal de la dénonciation, qu’elle ne légitime que si elle permet de confondre les auteurs ou d’empêcher la réalisation d’un crime. Il y a une forme de circonspection vis-à-vis d’une surveillance généralisée et horizontale, et ce en dépit des tentatives de moralisation, au nom du civisme, de notre société. Est-ce parce que notre Histoire nous a enseigné que la distinction entre le louable (le devoir républicain) et le servile (les bas instincts) n’a jamais véritablement été maîtrisée par le pouvoir ? Le traumatisme du régime de Vichy et de ses multiples dénonciations de juifs et de résistants a irrémédiablement rendu la dénonciation suspecte aux yeux des français.

Dès la république romaine…

En matière fiscale, la délation fut encouragée dès la République romaine puis généralisée sous l’Empire, avec une rémunération à hauteur du quart des sommes récupérées par le Trésor impérial. Le succès fut semble t-il relatif puis que Sénèque nous raconte que « ce fût partout comme une rage d’accuser qui épuisa Rome bien plus qu’une guerre civile » Pourtant, bien des pays, en particulier anglo-saxons, exploitent et rémunèrent sans scrupule les dénonciations, y compris en matière fiscale. La perception de la dénonciation y est moins éthique que libérale et peu importe que ce soient des « chasseurs de primes » qui en bénéficient. Le Royaume-Uni, le Canada ou les Etats-Unis vont jusqu’à mettre à la disposition des délateurs potentiels des portails internet dédiés. Le cas de Bradley Birkenfeld, qui a reçu 104 millions de dollars du fisc américain pour avoir dénoncé les clients dont il gérait la fortune chez UBS, suscite les vocations. Le professionnalisme n’est jamais loin : les premières écoles de délation ont vu le jour en Corée du Sud…

Un comptable rémunéré pour dénoncer ses clients…

La question de savoir si les dénonciations fiscales sont d’ores-et-déjà exploitées et rémunérées par l’administration fiscale française est si sensible qu’elle appelle plusieurs réponses. La réponse du ministre est toujours formelle : les dénonciations anonymes ne sont jamais exploitées et les dénonciations assumées ne sont jamais rémunérées. Les services concernés sont pourtant moins catégoriques… A raison sans doute : il serait sinon incompréhensible que la Cour de cassation (1 ) ait eu à juger de la recevabilité du témoignage anonyme ! Plus curieux encore, cette même Cour a réprimé le ‘business’ mis en place par un comptable qui était rémunéré par la Direction nationale des enquêtes fiscales pour dénoncer ses clients ( 2)…

La rémunération des délateurs, prévue en matière douanière (3 ), est largement utilisée dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogue. Elle est plafonnée à 3100 euros, sauf information particulièrement significative. Le Code général des impôts ( ) est moins explicite et précise, en matière de contributions indirectes, qu’ « aucun indicateur ne peut prétendre à une rémunération quelconque s’il n’est justifié par écrit que les renseignements qu’il a fournis l’ont été avant le procès-verbal. » C’est sur ce fondement textuel que reposait la pratique, ‘officiellement’ abandonnée, de la rémunération des aviseurs fiscaux.

Pas souhaitable de copier le modèle anglo-saxon

Doit-on aller plus loin ? Généraliser cette pratique, confidentielle en France, pour copier le modèle anglo-saxon ? Cela ne nous paraît ni nécessaire, ni souhaitable. En outre, il nous semble que la loi Perben qui permet de rétribuer toute personne ayant fourni des renseignements ayant amené à la découverte ou l’identification des auteurs de crime ou délits, est suffisante : la fraude fiscale et le blanchiment de fraude fiscale sont des délits et les délateurs peuvent donc être rémunérés… par le Ministère de l’Intérieur.

(1) Cass. Crim. 3 octobre 2007, 06-82.317.
(2) Cass. Crim 8 septembre 2010, 09-85.88.
(3) Article 391 du Code des douanes.
(4) Article 1825 F du Code général des impôts.

Bertrand Lacombe

Avocat, chargé d’enseignement en droit fiscal.