Le Président Macron, fidèle à sa volonté de dépasser le clivage droite-gauche, a habilement proposé de « concentrer » l’ISF sur les actifs immobiliers, au motif que ces derniers ne serviraient que peu au financement de l’économie « réelle ».
A Grand Bourgtheroulde, le Président Macron l’a dit clairement : l’ISF n’est « pas un tabou ni un totem ». Difficile à croire, tant ce totem de gauche, tabou à droite, colle à la peau du Président comme le sparadrap à celle du capitaine Haddock.
A droite, on a longtemps hésité… Les raisons sont multiples. En premier lieu, sa suppression est impopulaire. Deux tiers des français y sont opposés, le fait qu’il ne frappe que huit foyers sur mille n’y étant peut-être pas étranger. En second lieu, comme Jacques Chirac avait opportunément attribué sa défaite de 1988 à la suppression de ce symbole, son coût politique était fantasmé. C’est du moins ce que croyaient (à tort semble t-il !) les candidats à la primaire de la droite. Enfin, les lobbys qui exploitent les niches progressivement introduites (fonds d’investissements dans les PME, fondations, œuvres d’art, outre-mer…) pesaient de tout leur misonéisme : il faudrait maintenir cet impôt, non parce qu’il est efficace ni même juste, mais parce que ses exonérations seraient utiles ! Et le budget là dedans ? L’ISF représentait 5,2 milliards d’euros, un montant anecdotique au regard des quelques 1000 milliards d’euros de prélèvements obligatoires qui frappent les français chaque année et des pertes fiscales liées aux exils qu’il provoquait.
Le Président Macron, fidèle à sa volonté de dépasser le clivage droite-gauche, a habilement proposé de « concentrer » l’ISF sur les actifs immobiliers, au motif que ces derniers ne serviraient que peu au financement de l’économie « réelle ». La communication avait alors été parfaitement maitrisée : en vilipendant la « rente immobilière », il donnait des gages à gauche ; en annonçant que les actifs autres qu’immobiliers ne seraient plus imposés, il se faisait applaudir par une droite qui, échaudée par les promesses du passé et les difficultés de son candidat, ne croyait plus vraiment à sa suppression. Les français ont donc voté pour un candidat qui prônait la transformation de l’ISF. Promesse tenue : elle a eu lieu, certes au prix d’une aggravation (qui ne rapportera rien) de la fiscalité des symboles de la richesse improductive : Yachts, lingots et jets privés. Pour une partie de la majorité, la transformation de l’ISF était une pilule telle que la définissait Molière, une « chose désagréable dont il faut s’accommoder ». Vous avez dit Totem ?
Force est de constater que la pilule n’est pas digérée et le « grand » débat se cristallise autour d’un « cadeau » à des prétendus nantis plus que sur la pertinence économique ou budgétaire de l’impôt. On en oublierait même que l’ISF n’a pas été supprimé mais transformé ! Or, d’un point de vue économique, le choix de taxer exclusivement la fortune immobilière est discutable. Cette réforme, inspirée de l’ouvrage de notre confrère Yves Jacquin Depeyre, part du postulat que l’immobilier est un capital immobile : son propriétaire sera moins tenté de partir sous des cieux fiscaux plus cléments.
D’un point de vue fiscal, l’impôt sur la fortune immobilière existait en dehors de l’IFI : il s’agit de la taxe foncière, à l’assiette obsolète mais au poids croissant. On peut regretter à cet égard que l’IFI n’est pas remplacé purement et simplement le vieillissant impôt foncier : une assiette large (la valeur vénale actuelle, sans abattement) et un taux faible sont souvent les meilleurs instruments d’une fiscalité efficace.
Enfin, il y a une lecture politique du passage à l’IFI, qui trouve un certain écho dans les revendications des gilets jaunes : comme la part de l’immobilier dans le patrimoine d’un ménage diminue à mesure que ce patrimoine s’accroit, ce sont les plus gros patrimoines qui ont bénéficié – le mot est impropre quand il s’agit de payer un impôt – de la réforme.
L’évaluation de la transformation de l’ISF s’annonce animée. Gageons qu’alors on ne racontera pas « des craques » et qu’une fois n’est pas coutume, on regardera ce que font nos voisins immédiats.
Bertrand Lacombe
Avocat, chargé d’enseignement en droit fiscal.