En ajoutant des conditions d’application au régime de TVA sur la marge que n’a pas prévues le législateur, l’administration fiscale sanctionne les marchands de bien qui cèdent des terrains à bâtir issus d’une division parcellaire.
Le cas est tout sauf inédit : un professionnel de l’immobilier achète auprès de particuliers un immeuble bâti dont dépend un terrain d’agrément, divise puis revend de façon indépendante l’immeuble bâti et un ou plusieurs terrains à bâtir. La revente du terrain à bâtir est soumise à la TVA, que le professionnel pense appliquer uniquement sur sa marge, car il n’a pas pu déduire de TVA lors de l’acquisition, conformément à l’article 268 du Code général des impôts. La doctrine administrative entend toutefois priver le professionnel du régime de la TVA sur la marge dans l’hypothèse où il n’y aurait pas une identité de qualification des biens acquis et vendus. Une position praeter legem, voire contra legem, qui génère de nombreuses rectifications…
Cet argument a progressivement été abandonné par les services vérificateurs. Il est vrai que l’administration a assoupli sa position en exigeant seulement une identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien revendu⁹. Cet assouplissement, bienvenu, n’était toutefois pas suffisant pour les juges du fond.
Le régime légal de la TVA sur marge
La cession de terrains à bâtir par un assujetti est désormais dans le champ d’application de la TVA : l’assujetti facture la TVA sur la cession et déduit la TVA acquittée lors de l’acquisition. Voilà pour le principe. L’article 268 du Code général des impôts prévoit toutefois que le régime de la TVA sur marge s’applique à « la livraison d’un terrain à bâtir » « si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ». Ces dispositions sont particulièrement claires : elles ne prévoient aucune restriction en raison d’un éventuel changement de qualification. Un terrain à bâtir est un terrain qui peut supporter des constructions, et il n’est nul besoin d’aller chercher davantage de conditions, telles la division cadastrale préalable ou la ventilation du prix permettant de détacher sa valeur de celle du foncier bâti afin de le rendre constructible. Aucune interprétation n’est requise : « si l’acquisition du terrain par l’assujetti n’a pas ouvert droit à déduction, la TVA est due sur la marge »¹. C’est donc à bon droit que le professionnel qui acquiert auprès d’un particulier un ensemble immobilier comprenant un immeuble bâti et un terrain constructible qui dépend de celui-ci applique, lors de la cession de ce dernier, la TVA sur sa marge.
Une doctrine administrative qui ajoute à la loi…
L’administration fiscale, dans ce qui ne devrait être qu’un commentaire de la loi², ajoute pourtant une condition qui, selon elle, doit être satisfaite pour appliquer le régime de la TVA sur marge : « il n’y a lieu de rechercher le régime de l’acquisition aux fins de déterminer la base d’imposition que pour les seules livraisons d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification ». En d’autres termes, si le professionnel acquiert un immeuble bâti dont dépend un terrain et revend, après division, le terrain à bâtir, il y aurait un changement de « qualification » le privant du régime de la TVA sur marge. Toujours au prétexte de commenter un texte légal pourtant très clair, l’administration n’hésite pas à ajouter qu’ « en règle générale, une division parcellaire devra intervenir préalablement à la mutation, permettant de distinguer la part de l’emprise libre de constructions utilisables comme telles dont la cession sera taxée comme terrain à bâtir, et la part déjà bâtie utilisable comme telle dont la qualification fiscale dépendra des caractéristiques propres »³.
…Et malmène le principe de légalité
Ce faisant, l’administration fiscale fixe « des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi », pour reprendre la formule que le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement⁴. S’il est vraisemblable que le contentieux lié à cette position de l’administration fiscale connaisse le sort généralement réservé par le Conseil d’Etat aux instructions qui « ne se borne(nt) pas à interpréter, mais comporte(nt) des dispositions qu’il n’appartenait qu’au législateur de prévoir »⁵, cette position critiquable est source d’insécurité juridique. Le principe selon lequel la doctrine administrative ne saurait en effet donner de base légale à une imposition⁶ est une nouvelle fois malmené.
La position de l’administration pourrait toutefois se concevoir si elle était conforme à une intention clairement exprimée par le législateur mais non retranscrite dans le texte finalement adopté. Il n’en est rien : les travaux parlementaires ne contiennent pas trace de la moindre discussion sur l’opportunité de restreindre la portée du régime de la TVA sur marge aux seules situations qui trouvent grâce aux yeux de l’administration. En effet, l’avis déposé par M. le Député Olivier Carré auprès de la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2009, pas plus que rapport fait au nom de la commission des finances et déposé le 9 février 2010⁷, ne font état de l’éventualité même de telles restrictions, qui n’auraient pas été reprises dans le texte finalement adopté.
Le malaise est tel que ce même député a alerté via une question au Gouvernement le ministère du budget sur le fait que les services de l’administration « exigent, pour permettre la taxation des prix de reventes à la TVA sur la marge en vertu de l’article 268 du CGI, des conditions non prévues par ce texte »⁸. Sans réponse à ce jour.
Quelle attitude adopter en pratique ?
Dans la mesure où les différends sur cette question sont d’ores-et-déjà légion, le juge de l’impôt aura prochainement l’occasion de statuer sur la légalité de la doctrine administrative qui sert de base légale aux rectifications en question. Dans l’attente, deux options s’offrent aux professionnels réalisant des cessions de terrains à bâtir issus de divisions d’ensembles immobiliers qui comprenaient des biens bâtis.
La première option est contentieuse : dans la mesure où la doctrine administrative en question ajoute à la loi, les contribuables pourraient regarder celle-ci comme inopposable et continuer à appliquer le régime de la TVA sur la marge tel qu’il est prévu par la loi. La remise en cause par les services vérificateurs sera quasi-systématique. Son succès nous semble toutefois très incertain.
La seconde option est pusillanime : afin de sécuriser le bénéfice du régime de la TVA sur marge lors de la revente, les professionnels pourraient tenter, comme les y invite l’administration, de faire procéder à une division parcellaire avant d’acheter. Séduisante sur le papier, cette solution nous semble irréaliste en pratique. Sa mise en œuvre se heurte en effet à deux obstacles majeurs.
Cette « invitation » formulée à l’administration fiscale confine à l’aporie dans l‘hypothèse classique où les cédants de l’ensemble immobilier sont des particuliers, peu au fait des pratiques notariales et immobilières, qui bien souvent rechigneront à procéder eux-mêmes, préalablement à la vente, à une division parcellaire. Le fait que l’acquéreur propose de prendre en charge le coût associé à cette formalité devrait permettre de résoudre certaines situations, mais il est possible que cette contrainte pèse sur la proposition du marchand de biens dans l’hypothèse où celui-ci est en concurrence avec d’autres acquéreurs potentiels n’ayant pas les mêmes objectifs.
Pire, la division parcellaire préalable à l’acquisition par le professionnel peut confiner au piège pour les particuliers cédants. Ces derniers auront peut-être la désagréable surprise de voir le traitement fiscal de leur plus-value de cession être impacté par cette opération. En effet, dans l’hypothèse où les terrains d’agrément cédés avec l’immeuble bâti constituent « les dépendances immédiates et nécessaires » de leur résidence principale au sens de l’article 150 U II 3° du Code général des impôts, les particuliers peuvent être exonérés de plus-value sur la totalité du prix de vente. Certes, l’administration fiscale a pu restreindre la portée de cette exonération en considérant que par nature des terrains à bâtir ne peuvent par nature constituer des dépendances « immédiates et nécessaires ⁹. Mais la jurisprudence est plus libérale que l’administration¹⁰ et il apparaît que le fait pour le particulier cédant de procéder lui même à cette division parcellaire pour faire apparaître de façon distincte l’immeuble bâti et le ou les terrains à bâtir est susceptible de remettre en cause l’exonération d’impôt sur la plus-value de cession sur la partie du prix affectée aux terrains à bâtir dont il aurait pu bénéficier…
Ainsi éclairée, la position de l’administration peut mener à un jeu à somme nulle : priver le particulier cédant d’une exonération de plus-value ou priver le professionnel acquéreur du régime de la TVA sur marge lors de la revente. Il y aura toujours un perdant…
1 – Garçon , Jean-Paul, la TVA appliquée à l’immobilier, n°459, Défrenois, Lextenso Editions, 2013.
2 – BOI-TVA-IMM-10-20-10-20140915 n°20..
3 – BOI-TVA-IMM-10-10-10-40-20130107 n°10.
4 – Voir par exemple : décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, décision n° 2013-336 QPC. – Sénat, 9 février 2010, Rapp. N°278 (2009-2010) de M. Philippe Marini.
5 – CE 20 décembre 2013 n° 371157, 372625 et 372675, 8e et 3e s.-s., SA Axa France Vie : RJF 3/14 n° 284
6 – CE 11 juillet 1979, req. n° 02 087, Rec. Lebon p. 316 et 317, DF 1980, n° 1, comm. 4, concl. P. Lobry, RJF 10/79, n° 587.
7 – Rapport n° 278 (2009-2010) de M. Philippe Marini .
8 – Question N° 91143, JOAN du 17 novembre 2015.
9 – BOI-RFPI-PVI-10-40-10-20150812 n°340 : « lorsqu’un terrain, qui constitue une dépendance de la résidence principale, est vendu comme terrain à bâtir, l’exonération prévue au 3° du II de l’article 150 U du CGI ne peut s’appliquer, à l’exception des dépendances qui constituent des locaux et aires de stationnement utilisés par le propriétaire comme annexes à son habitation (garage, parking, remise, maison de gardien) ainsi que des cours, des passages, et, en général, de tous les terrains servant de voies d’accès à l’habitation et à ses annexes. En effet, l’exclusion de telles cessions tient à la nature des terrains concernés, soit des terrains à bâtir, qui ne peuvent pas, en toute hypothèse, être considérés comme des dépendances immédiates et nécessaires ».
10 – Voir à cet égard, pour une étude complète de la question : Emmanuel Cruvelier, Plus-Values immobilières et cession des dépendances d’une résidence principale, La revue fiscale du patrimoine n°1, décembre 2014, étude 2.
Bertrand Lacombe
Avocat à la Cour, Lacombe Avocats