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Alors que le Gouvernement envisage un plafonnement des indemnités judiciaires de licenciement, le Conseil d’État vient de juger qu’une indemnité transactionnelle peut être totalement exonérée au plan fiscal. Il fait ainsi une première application positive de la réserve d’interprétation formulée en 2013 par le Conseil constitutionnel et selon laquelle le traitement fiscal d’une indemnité de licenciement ne saurait être commandé par sa modalité d’attribution (jugement, sentence arbitrale ou transaction). L’occasion de faire le point sur le régime fiscal applicable aux indemnités de licenciement, qui dépend désormais de l’appréciation par le juge de l’impôt de situations jusqu’à présent connues du seul juge du contrat de travail.

À défaut d’être évident, le principe est clair : toutes les indemnités versées à un salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail sont taxables dans la catégorie des traitements et salaires¹. Il en va de même, lors de la cessation de leur mandat social, pour les dirigeants assimilés à des salariés sur le plan fiscal². Pourquoi ce principe n’est pas évident ? Parce qu’il contribue à « dilater »³ la notion de gain imposable. Celle-ci, inspirée du concept de fruit en droit civil, visait à l’origine un gain susceptible de se renouveler (un salaire, un loyer…). Elle a ensuite été étendue à tout enrichissement, peu importe que celui-ci puisse se renouveler (une plus-value…). Une indemnité de licenciement n’a pas vocation à se renouveler. Elle répare un préjudice, et à hauteur de celui-ci, ne provoque aucun enrichissement. En dépit de ceci, la loi la déclare par principe taxable. Les tempéraments à ce principe sont toutefois si nombreux que ce sont les cas d’imposition intégrale d’une indemnité de licenciement qui, en pratique, sont exceptionnels.

Le cas général d’exonération partielle des indemnités de licenciement.

Sont concernées par cette exonération partielle les indemnités de licenciement qui ne sont pas versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou qui ne sanctionnent pas un licenciement irrégulier ou abusif. Ainsi, en dehors de ces deux hypothèses, toutes les indemnités de rupture de contrats à durée indéterminée à l’initiative de l’employeur sont exonérées d’impôt sur le revenu à hauteur du plus élevé des trois montants suivants⁴ :

  • Montant de l’indemnité de licenciement prévu par la convention collective de branche, par l’accord professionnel et interprofessionnel ou par la loi ;
  • Moitié de l’indemnité de licenciement perçue ;
  • Deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail.

Toutefois, la fraction exonérée résultant de l’application de l’une ou l’autre des deux dernières limites⁵ ne peut pas excéder six fois le plafond annuel de sécurité sociale en vigueur au moment du versement des indemnités⁶.

Le bénéfice de cette exonération partielle ne pose guère de difficulté en pratique car il n’est en rien conditionné par les modalités d’obtention de l’indemnité (jugement, arbitrage, transaction) : un contribuable qui n’aurait pas droit à une indemnité légale ou conventionnelle (en raison de son ancienneté inférieure à deux ans ou en raison de la commission d’une faute grave ou lourde) mais a toutefois conclu une transaction avec son employeur en bénéficie⁷.

Les cas particuliers d’exonération totale

Le premier cas d’exonération totale⁸ vise les indemnités de licenciement (ou de départ volontaire) versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi⁹. Sont en pratique concernés les licenciements pour motif économique, envisagés pour une raison étrangère à la personne des salariés concernés, et portant sur dix salariés au moins dans une même période de trente jours.

Le second cas d’exonération totale est plus problématique : il s’agit des indemnités pour licenciement irrégulier ou abusif, c’est-à-dire pour licenciement intervenu sans motif réel et sérieux ou en violation des règles de procédure prévues par le Code du travail. S’agissant d’une exception au principe de taxation, ce cas d’exonération totale doit être interprété strictement. C’est du reste la position traditionnelle du Conseil d’État, qui a considéré que l’indemnité de rupture anticipée injustifiée d’un contrat de travail à durée déterminée n’est pas concernée par cette exonération¹⁰. De même, le Conseil d’État a pu juger qu’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prononcée par sentence arbitrale est totalement exonérée si – et seulement si¹¹ – l’arbitre n’est pas intervenu comme amiable compositeur mais a statué conformément aux règles fixées par le Code du travail¹².

La réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel

Ce principe d’interprétation stricte prescrivait d’exclure du bénéfice de l’exonération totale les indemnités transactionnelles de licenciement, alors même que si le contribuable avait poursuivi le contentieux devant le conseil de prud’hommes, l’indemnité qui lui aurait éventuellement été allouée par jugement aurait pu être exonérée en totalité. Pourtant, dans les deux cas (indemnité transactionnelle ou judiciaire), l’indemnité répare à la fois un préjudice résultant d’une perte de salaire et un préjudice d’une autre nature. Confronté à cette difficulté, le Conseil d’État a transmis la question au Conseil constitutionnel¹³.

Les juges de la rue Montpensier ont estimé que la loi telle qu’interprétée par le juge de l’impôt ne doit pas conduire à ce que le bénéfice des exonérations varie selon que l’indemnité est allouée par un jugement ou une transaction¹⁴. C’est la qualification de l’indemnité qui justifie l’exonération d’impôt sur le revenu et non son mode de fixation. Il en résulte qu’une indemnité transactionnelle ne peut se voir refuser a priori le bénéfice d’une exonération d’impôt sur le revenu. C’est à l’administration, sous le contrôle du juge, de rechercher l’exacte qualification à donner aux indemnités versées. Ce faisant, l’interprétation conforme à la Constitution de l’article 80 duodecies requiert un examen – nécessairement subjectif – des conditions (régulières ou abusives) de la rupture du contrat de travail.

Les récentes décisions du Conseil d’État

Les juges du palais royal n’ont pas eu à attendre longtemps pour faire application de cette nouvelle interprétation. Dans une première espèce, le Conseil d’État a admis que l’indemnité perçue par un salarié qui a démissionné peut bénéficier de l’exonération totale si la démission revêt, en raison des conditions dans lesquelles elle a été donnée, le caractère d’un licenciement¹⁵. Ce n’était toutefois pas le cas dans l’affaire jugée : sans se risquer à lister les critères à prendre en considération, le Conseil valide la qualification des faits par les juges du fond qui, au regard d’un faisceau d’indices, avaient constaté que la démission était libre et non contrainte.

La première application positive de cette réserve d’interprétation est intervenue rapidement : le Conseil d’État vient d’annuler un arrêt d’appel au motif que les juges du fond n’avaient pas recherché si un salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail apportait la preuve que cette prise d’acte était assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des faits de nature à justifier la rupture du contrat aux torts de l’employeur¹⁶. On observera qu’en laissant les juges du fond déterminer si les griefs invoqués par le salarié à l’encontre de son employeur justifient la rupture du contrat aux torts de ce dernier, le Conseil d’État fait sien le raisonnement de la Cour de cassation en la matière¹⁷. Il faut désormais souhaiter que les autres juges de l’ordre administratif parviennent à des solutions conformes à celles du juge judiciaire lorsqu’il a à connaître des mêmes faits.

Quelques considérations pratiques

Le Conseil d’État a eu à connaître de deux applications de la réserve du Conseil constitutionnel : la transaction après démission et la transaction après prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Dans ces deux hypothèses, le sort fiscal de l’indemnité est blanc ou noir : exonération totale si la démission est contrainte ou si la rupture aux torts de l’employeur est justifiée, taxation intégrale autrement.

La conclusion sera moins manichéenne dans une troisième hypothèse, beaucoup plus fréquente en pratique : la transaction après licenciement. La réalité de la rupture à l’initiative de l’employeur n’est alors pas discutable et le salarié bénéficiera le cas échéant d’une exonération partielle. Bien que fixée par les parties et non par le juge, cette indemnité doit pouvoir faire l’objet d’une exonération totale si le licenciement est abusif ou irrégulier.

Le rédacteur de la transaction sera alors particulièrement attentif : si le contribuable entend bénéficier d’une exonération totale, la transaction devra faire état des éléments factuels de nature à justifier du caractère irrégulier ou abusif du licenciement. La prudence voudrait que tous les éléments qui pourraient être soulevés dans le cadre d’un contentieux prud’homal classique soient consignés dans cette transaction. Le seul fait pour l’employeur de reconnaître le caractère abusif ou irrégulier du licenciement sur lequel il transige ne devrait en effet pas suffire à emporter la conviction de l’administration. Et en définitive, c’est le juge de l’impôt qui devra se substituer au juge du contrat de travail pour apprécier souverainement si le licenciement présente un caractère abusif ou irrégulier. Là encore, l’émergence d’une jurisprudence administrative concurrente – voire différente – de la jurisprudence judiciaire en la matière ne peut hélas être exclue.

Jusqu’en 1999, le régime fiscal des indemnités de licenciements était largement imprévisible, tant il reposait sur une appréciation purement subjective de la nature du préjudice réparé par l’indemnité. L’indemnité réparait la perte d’une rémunération ? Elle était taxable. L’indemnité réparait un préjudice distinct, notamment d’ordre moral ou professionnel ? Elle était exonérée. Pour distinguer le bon grain de l’ivraie, le juge prenait en considération des critères variés : l’âge du contribuable, son ancienneté, son niveau de formation, ou les conditions dans lesquelles la cessation de ses fonctions était intervenue… C’est pour mettre fin à cette insécurité juridique que le législateur est intervenu en 1999¹⁸ et a fixé un régime objectif, aussi éloigné que possible de toutes ces contingences. La jurisprudence constitutionnelle et administrative, qui requiert désormais un examen casuistique des conditions dans lesquelles la rupture est intervenue pour déterminer si l’indemnité est taxable ou exonérée, donne raison à la formule d’Horace : « Chasse le naturel à coups de fourche, il reviendra toujours »¹⁹.

1 – CGI, art. 80 duodecies, 1

2 – Sont en pratique concernés : le président du conseil d’administration, le directeur général, les directeurs généraux délégués, l’administrateur provisoirement délégué, les membres du directoire d’une société anonyme ; les dirigeants statutaires d’une société par actions simplifiées ; le gérant non majoritaire d’une société à responsabilité limitée.

3 – Pour reprendre la formule du rapporteur public Claire Legras dans ses conclusions sous CE, 24 juin 2013, n° 365253 : Dr. fisc. 2013, comm. n° 402, n° 36).

4 – CGI, art. 80 duodecies, 1-1° et 3°.

5 – Ces deux dernières limites sont également applicables aux indemnités de cessation forcée des fonctions versées aux mandataires sociaux et aux dirigeants (CGI, art. 80 duodecies, 2).

6 – Soit 228 240 € pour les indemnités perçues en 2015.

7 – BOFIP, BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-30-20140307, n° 40.

8 – CGI, art. 80 duodecies, 1-2°.

9 – Au sens de C. trav., art. L. 1233-32 et L. 1233-61 à L. 1233-64.

10 – CE, 5 mai 2010, n° 309803 : RJF n° 7/10, n° 677, BDCF 2010, n° 77, concl. P. Collin.

11 – BDCF 2012, n° 113, concl. V. Daumas.

12 – CE, 20 juin 2012, n° 345120 : RJF n° 10/12, n° 914. Dans le même sens : CAA Paris, 25 oct. 2011, n° 10PA04698 : RJF n° 4/12, n° 358.

13 – CE, 24 juin 2013, n° 365253 : RJF n° 10/13, n° 963.

14 – Cons. const., 20 sept. 2013, n° 2013-340 QPC : RJF n° 12/13, n° 1162.

15 – CE, 24 janv. 2014, n° 352949 : RJF n° 4/14, n° 335 ; BDCF 2014, n° 4, concl. C. Legras

16 – CE, 1er avr. 2015, n° 365253 : RJF n° 01/15, n° 487 ; BDCF 2015, n° 69, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon. À noter que l’affaire était celle ayant donné lieu à la décision du Conseil constitutionnel.

17 – Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42335 – Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42679 – Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43578 : RJS n° 8-9/03, n° 994, avec chronique J.-Y. Frouin, p. 647.

18 – L. n° 99-1172, 30 déc. 1999, art. 3 : JO 31 déc. 1999, p. 19914.

19 – « Naturam expelles furca, tamen usque recurret », Horace, Épîtres, 1, 10, 24.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

Bertrand Lacombe

Avocat à la Cour, Lacombe Avocats