La récente décision de la Cour administrative d’appel de Paris – dans la médiatique affaire Médiapart – pose la question de l’élargissement du champ d’application des majorations de 40% pour manquements délibérés.
Médiapart avait engagé en toute transparence un combat pour que le taux de TVA réduit prévu pour la presse écrite s’applique quel que soit son support de diffusion, physique ou numérique. Ses démarches furent finalement couronnées de succès et aboutirent à une modification législative. Hélas, celle-ci intervînt alors que Médiapart faisait l’objet d’un contrôle… À l’issue duquel l’administration fiscale réclama le versement de la TVA résultant du différentiel de taux, et assortît cette rectification des pénalités pour manquements délibérés.
Le Tribunal administratif de Paris confirma les rectifications, mais prononça la décharge des majorations de 40%, au motif que Médiapart, qui estimait ce différentiel de taux inconstitutionnel et inconventionnel, avait appliqué le taux réduit « en toute transparence avec l’administration fiscale ».
Ce jugement était cohérent avec la jurisprudence selon laquelle il n’y a pas mauvaise foi quand la règle de droit n’est pas certaine (1).
Dans l’affaire Médiapart, la Cour administrative d’appel de Paris change de paradigme et juge clairement que lorsqu’un contribuable est en désaccord assumé avec l’administration, il doit payer et réclamer. A défaut, il manifeste « sans équivoque et de manière délibérée son intention » (2) d’éluder un impôt qu’il estime infondé.
Cette décision interpelle : le glissement sémantique résultant l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, à l’issue de laquelle le manquement délibéré succéda à l’ancienne terminologie de mauvaise foi, permettrait donc d’appliquer la majoration pour manquement délibéré au contribuable qui, de bonne foi, est en désaccord assumé avec l’administration fiscale et engage à ce titre des discussions avec elle, en amont de tout contrôle.
On suivra avec intérêt le sort du pourvoi interjeté par Médiapart. Sans certitudes néanmoins quant à son issue : le Conseil d’État n’a t-il pas jugé récemment (3) que le fait que l’administration se soit abstenue, à l’occasion d’un contrôle, de remettre en cause l’application d’un taux réduit de TVA ne fait pas obstacle à ce qu’elle remette en cause celle-ci, à l’occasion d’un contrôle ultérieur, en soutenant que l’attitude du contribuable témoigne d’un manquement délibéré ?
Dans cette attente, en cas de désaccord avec une norme incertaine, le contribuable pusillanime paiera (s’il le peut) avant de réclamer. Cela lui évitera d’être regardé « à l’insu de son plein gré »(4) comme ayant manifesté délibérément son intention d’éluder l’imposition en cause.
1 – CAA Paris, 9e ch., 15 oct. 2015, n° 13PA04863, SAS Foncière du Rond-Point : JurisData n° 2015-030460 ; Dr. fisc. 2016, n° 7-8, comm. 182, concl. Ch. Oriol, note C. Cassan et G. Tar
2 – CAA Paris, 5e ch., 12 novembre 2020, 18PA02396
3 – CE, 9e et 10e ch., 13 mars 2020, n° 423782 , Sté Le Relais de la Benerie, concl. É. Bokdam-Tognetti : JurisData n° 2020-003335
4 – Selon la plaisante formule attribuée par les regrettés Guignols de l’info à Richard Virenque.
Bertrand Lacombe
Avocat à la Cour, Lacombe Avocats